VII
REPOS EN BONNE COMPAGNIE

Le lieutenant Charles Queely dégringola la descente du Wakeful et après une courte hésitation, ouvrit à la volée la porte de la cabine. Bolitho lisait le journal de bord, assis à la table, le menton dans la main.

Il leva les yeux :

— Bonjour, monsieur Queely.

Queely s’efforça de cacher sa surprise : il s’était attendu à trouver Bolitho endormi, non pas occupé à vérifier ses livres et à examiner les cartes.

— Je… Je vous prie de m’excuser, Monsieur. Je descendais vous informer que l’aube approche.

Il fit du regard le tour de la cabine, cherchant d’éventuels changements. Bolitho s’étira :

— Je ne refuserais pas une goutte de café, puisque vous insistez.

Queely se demanda par-devers lui comment Bolitho n’était pas plus fatigué. Il s’était accordé un bref moment de repos à bord du Télémaque puis, quand celui-ci était arrivé en vue de l’autre cotre, il avait organisé son transbordement sans délai ni explication.

D’habitude, Queely savait garder pour lui ses sentiments et malgré son jeune âge, jouer avec aisance son rôle de commandant. Mais l’arrivée inattendue de Bolitho l’avait pris au dépourvu, ainsi que le spectacle du Télémaque à la cape, maculé de traînées de poudre et montrant les taches claires des bordés que ses charpentiers s’occupaient à remplacer.

— Vont-ils retourner en cale sèche, Monsieur ? avait demandé Queely.

— Je ne le pense pas. Comme je l’ai dit au lieutenant Paice, il vaut mieux effectuer les réparations avec les moyens du bord, même si les morts et les blessés n’ont toujours pas été remplacés. Ce genre d’expérience a le mérite de souder l’équipage ; ainsi les hommes n’ont pas le temps de se lamenter.

Queely avait été choqué par l’étendue des dégâts. Aussitôt il poursuivit :

— Je n’étais pas du tout au courant, Monsieur. J’ai effectué ma patrouille conformément à vos ordres et une fois hors de portée de vos signaux, j’ai décidé de rester à ma station.

C’était hier. Aujourd’hui, après toute une nuit de voile et en dépit des bordées tirées contre le vent, ils avaient été dépalés vers le sud-est. Ainsi Queely n’avait rien su de leur engagement rapproché contre le Four Brothers… Tout à fait possible, en effet. Avec sa physionomie studieuse, son nez crochu et ses yeux enfoncés, il semblait homme à se faire aisément une idée personnelle de la situation, et à s’y tenir. J’ai décidé de rester à ma station. A sa place, Bolitho aurait fait de même.

Comme Queely ouvrait la porte pour demander du café, Bolitho jeta de nouveau un coup d’œil autour de lui. Le Télémaque et le Wakeful avaient été construits dans le même chantier à quelques années d’intervalle : pourquoi étaient-ils à ce point différents ? Même dans la cabine régnait une impression de désordre délibéré, ou d’occupation provisoire. Apparemment, Queely considérait le Wakeful comme un outil de guerre, rien de plus. Les uniformes suspendus à des crochets se balançaient au rythme du roulis. Epées et armes de poing s’entassaient pêle-mêle dans un coffre entrouvert. Seul le sextant de Queely était en bonne place, soigneusement coincé à l’angle de sa bannette : quel que fût le temps, il ne risquait pas de tomber.

Lui revinrent les protestations muettes de Paice, quand il lui avait ordonné de reprendre la mer sans délai, après la première bataille du Télémaque. Bolitho avait-il donné cet ordre pour la raison expliquée à Queely ou de crainte que l’équipage en bordée à terre n’allât, se montrer bavard au sujet d’Allday ?

En admettant qu’Allday fût toujours en vie… Il se passa les doigts dans les cheveux avec un sentiment de paix et de désespoir. Oui, il était vivant. Il fallait qu’il fût vivant.

La porte de la cabine s’ouvrit sur le jeune Matthew qui portait une cafetière. Son visage rond avait de nouveau perdu ses belles couleurs, sa peau semblait moite et pâle. Les mouvements du navire le rendaient toujours malade. C’était d’ailleurs une autre différence notable entre les deux cotres : Paice menait son Télémaque en marin avisé, tandis que Queely forçait sa monture avec impatience, conformément à son caractère.

Bolitho songea au second de Queely, un frêle lieutenant du nom de Kempthorne. L’homme descendait d’une longue lignée d’officiers de marine ; son propre père avait fini contre-amiral. Bolitho soupçonnait Kempthorne de s’être enrôlé dans la Marine par obéissance aux traditions familiales plus que par choix personnel. Queely et lui, c’était le jour et la nuit : on aurait eu de la peine à trouver le moindre point commun entre les deux officiers.

Et tous ces livres ! Bolitho n’en avait jamais vu autant, et à ce point usés, ailleurs que dans une bibliothèque publique. Les titres lui apprirent que Queely se passionnait pour une foule de disciplines qui allaient de la médecine tropicale à l’astronomie, des religions orientales à la poésie médiévale. Un introverti, Queely. Un homme indépendant. Il ne serait pas inutile d’en apprendre plus long sur son compte.

Bolitho dévisagea le garçon par-dessus le bord de sa moque :

— Tu te sens un peu mieux, Matthew ?

Le jeune garçon déglutit et s’agrippa à la table. Une vague déferlant sur le pont arracha de furieux éclats de voix aux hommes de quart près de la barre.

— Un peu, Monsieur.

Au désespoir, il regarda Bolitho boire son café :

— Je… Je fais ce que je peux.

Se détournant brusquement, il s’enfuit de la cabine. Bolitho poussa un soupir et endossa son vieux caban, dont il tripota un instant la manche défraîchie et les boutons ternis. Il revit les épaules de Viola, brûlées par le soleil, son joli corps appuyé contre le sien dans la chambre d’embarcation. Et après…

Un coup de roulis manqua le faire tomber. Son crâne cogna contre un barrot, mais c’est à peine s’il remarqua la douleur. Il sentait la colère monter en lui comme une vague furieuse. « Cette obsession ne me quittera donc jamais ? »

Apercevant dans l’encadrement de la porte le visage inquiet de Queely, il détourna les yeux :

— Oui ?

Avait-il crié le prénom de Viola ? Elle ne pouvait plus l’entendre. Des images le hantaient : le cadavre soulevé par Allday et glissant par-dessus le plat-bord sous le regard incrédule des autres, leurs traits décomposés par la douleur, comme si cette mort avait arraché à chacun une part de lui-même. Et maintenant, Allday aussi avait disparu.

— Terre en vue, Monsieur, annonça Queely.

Ils escaladèrent les marches. La descente ruisselait d’embruns chaque fois que le Wakeful enfournait jusqu’à l’étrave son beaupré dans une vague.

Bolitho empoigna une batayole et attendit : ses yeux allaient s’accoutumer à la pénombre. Le ciel presque dégagé annonçait une belle journée. Les hommes de quart au travail compensaient sans effort par l’inclinaison de leur corps les coups de roulis et de tangage. Certains portaient des cirés improvisés en toile à bâche, d’autres étaient torse nu, dont la peau brillait comme du marbre. Les durs à cuire de l’équipage, les vieux bat-la-houle. Il y en avait sur tous les navires.

Bolitho se demanda un instant ce que ces hommes pensaient du Four Brothers. Ils n’avaient pas eu de contact avec le Télémaque jusqu’à la veille, mais lui savait par expérience que, dans la Marine, les nouvelles circulaient à leur façon. Le vrai et le faux se transmettaient d’un navire à l’autre en moins de temps qu’il n’en fallait pour apercevoir un pavillon une fois qu’il était hissé aux drisses d’un navire amiral.

— Pouvez-vous vous fier à vos vigies ?

Queely, qui se trouvait à deux pas en arrière, lui lança un regard glacé :

— Oui, Monsieur.

— Envoyez quelqu’un dans les hauts avec une longue-vue, je vous prie.

Bolitho ignora le coup d’œil furieux de Queely à son second et s’empara d’une lorgnette dans l’équipet, à côté du compas. Il en essuya méticuleusement les lentilles avec un mouchoir déjà trempé d’embruns et précisa :

— Je voudrais qu’ils ouvrent l’œil, ce matin.

Inutile de se répandre en éclaircissements. Cela suffisait pour donner à réfléchir au commandant.

Il attendit qu’une série de vagues plus escarpées fût passée sous la coque du cotre et bien en appui sur ses jambes écartées, il braqua sa longue-vue au-delà des haubans. Il aperçut d’abord une ombre, puis il vit une silhouette se dessiner quand la coque se souleva : c’était la terre. Il s’essuya la bouche et tendit la longue-vue à Kempthorne.

La France.

Si proche. Le vieil ennemi. Apparemment la même sous la faible lueur de l’aurore, et pourtant si différente, ensanglantée par la Terreur. Il entendit le maître soupirer :

— Nous sommes un peu près.

Queely empoigna son porte-voix et s’adressa à la vigie :

— Tu vois quelque chose ? Réveille-toi, mon gaillard !

Il devait considérer comme un gâchis le fait d’envoyer une précieuse longue-vue en tête de mât, d’où elle risquait de redescendre au plus vite.

— Rien, Monsieur !

Queely regarda Bolitho :

— Je ne m’attends guère à trouver de navire par ici, Monsieur. Les Grenouilles font des patrouilles de la frontière hollandaise jusqu’au Havre. La plupart des capitaines évitent d’attirer leur attention. C’est plus prudent.

Bolitho s’avança jusqu’au pavois, songeant à Délavai et au capitaine du Four Brothers, mort à présent. Les patrouilles n’avaient pas l’air d’empêcher les contrebandiers de circuler.

— Les Français, expliqua Queely, ont pour politique d’arraisonner les navires, Monsieur. Ils les fouillent et les mettent sous séquestre. On a signalé comme ça la disparition de plusieurs bateaux, et ce n’est pas Paris qui vous fournira des explications…

Hochant la tête, il ajouta :

— Je ne voudrais pas vivre là-bas. Pour tout l’or du monde.

Bolitho répondit calmement :

— Alors, nous devons faire en sorte que cela ne puisse arriver ici, n’est-ce pas, monsieur Queely ?

— Sauf votre respect, Monsieur, je dois dire que ce ne sont pas nos efforts qui vont empêcher les contrebandiers de dormir. A moins qu’on ne mette de nouvelles unités à notre disposition. Nos bateaux se comptent pratiquement sur les doigts d’une main. Maintenant qu’ils savent ce que rapporte la contrebande, les matelots qualifiés deviennent presque introuvables.

Bolitho passa près du timon vibrant où trois timoniers s’arc-boutaient. A côté d’eux, un maître principal ne quittait des yeux le compas que pour surveiller le faseyement de la grand-voile sous le pic.

— Voilà pourquoi nos trois cotres doivent sortir de conserve.

Bolitho vit le jeune Matthew descendre comme une flèche jusqu’au pavois sous le vent et s’affaler sur la lisse pour vomir. Il avait pourtant l’estomac vide depuis longtemps. Un matelot qui passait se mit à rire, l’attrapa par la ceinture et le réprimanda :

— Attention, bébé ! C’est profond par ici !

Bolitho les regardait sans les voir, il pensait au Télémaque :

— Vous êtes tous uniques. Votre confiance et le dévouement de vos hommes sont un exemple pour tous les autres.

Queely le regarda et dit :

— Vous avez jeté un coup d’œil au journal de bord, Monsieur ?

— Est-ce une question ?

Bolitho sentait qu’un peu d’eau de mer s’infiltrait par le col de sa chemise, il gardait les yeux fixés sur la côte à peine visible.

— Chaque fois que j’ai eu l’honneur de prendre le commandement d’un navire, j’ai commencé par consulter en détail le registre des punitions. Cela me donne une idée assez précise des méthodes de mon prédécesseur et de l’état d’esprit de mon équipage. Vous pouvez vous féliciter. Vos hommes obéissent. Vous n’avez pas besoin de sévir.

Queely hocha la tête, perplexe :

— Bien sûr, Monsieur.

Bolitho ne tourna pas les yeux vers lui. Il savait que l’appréciation avait pris Queely de court.

Quelques matelots bavardaient en lovant des drisses.

— Silence ! hurla Queely.

Il leva le bras :

— Écoutez, morbleu !

Bolitho se croisa les mains dans le dos. On entendait de petites détonations sèches, comme des coups de masse sur une enclume. Des pièces d’artillerie de petit calibre, mais un feu roulant.

— Ça vient d’où ?

— De l’arrière, par la hanche tribord ! répondit aussitôt le maître principal.

Les autres le toisèrent, incrédules. Il s’énerva :

— J’en mets ma main à couper, Monsieur !

— La mienne aussi ! approuva Bolitho.

Queely se hâta vers le compas :

— Que dois-je faire, Monsieur ?

Bolitho tourna un peu la tête pour entendre une nouvelle série de détonations dont l’écho se répercuta sur l’eau.

— A virer de bord vent devant !

Il rejoignit Queely près du compas.

— Avec ce vent, nous pouvons faire route directe au sud-ouest.

Il réfléchissait tout haut : il avait de nouveau l’impression d’être à bord du Télémaque. Personne n’avait élevé d’objection, personne non plus ne comprenait le bien-fondé de sa décision.

— A ce cap, observa Queely, nous ne tarderons pas à entrer dans les eaux territoriales françaises.

Bolitho regarda la grand-voile bien tendue, et la façon dont la longue bôme oscillait au-dessus de l’eau, comme habitée par une vie propre :

— Peut-être bien. Nous verrons.

Leurs regards se croisèrent. Il ajouta :

— Après tout, il semble bien que nous ne soyons pas seuls sur l’eau, ce matin, n’est-ce pas ?

Queely serra les mâchoires puis lança un ordre sec :

— Tout le monde sur le pont, monsieur Kempthorne ! Pare à virer vent devant !

Il défia du regard le maître principal, comme si celui-ci lui avait causé une contrariété :

— Nous ferons route au sud-ouest.

— A vos ordres, Commandant ! acquiesça l’autre sur le ton le plus neutre.

Bolitho se dit que Kempthorne devait avoir l’habitude des sautes d’humeur de Queely.

— Pare partout !

— Dessous la barre !

Bolitho se rattrapa au hiloire de la descente pour garder l’équilibre. On larguait les écoutes des voiles d’avant. Foc et trinquette claquaient dans un désordre sauvage. Le Wakeful vint dans le vent et retomba sous les amures opposées.

— A border la grande écoute !

Bolitho essuya les embruns qui lui avaient arrosé le visage et les cheveux. Il aurait juré que le long mât de flèche ployait d’un bord et de l’autre comme le fouet d’un cocher.

L’impatience de Queely n’avait d’égale que la susceptibilité de Paice :

— Rencontrez ! Comme ça ! Comme ça, j’ai dit, Nom de Dieu !

Le Wakeful se cala à la gîte sous ses nouvelles amures, répondant parfaitement au vent et à la barre. La bonne brise de nord-est gonflait ses voiles comme un blindage. Le cotre courait plein vent arrière, ses mouvements se firent plus doux.

— Sud-ouest ! Sud-ouest, Monsieur !

Tout raide, Bolitho s’avança jusqu’au pavois bâbord. Les premiers rayons du soleil venaient d’effleurer la terre. On aurait cru pouvoir la toucher : une illusion due au jeu de la lumière et des couleurs, fréquente en navigation côtière.

Bolitho tentait d’ouvrir une lorgnette quand la voix de la vigie retentit :

— Holà ! du pont ! Voiles en vue par la joue bâbord !

L’homme était hors d’haleine, comme si la violence de la manœuvre avait failli le précipiter en bas.

Bolitho braqua sa lorgnette dans la direction annoncée : rien. Rien que les crêtes des vagues. Puis il aperçut de petits navires, trois probablement. Un seul utilisait son artillerie. Porté par l’eau, le bruit, des détonations lui parvenait, à travers les bordés de pont, sous ses pieds, ébranlant la carène du cotre comme des chocs répétés contre des bois flottants.

— Holà, du pont ! C’est une chasse, Monsieur ! Ils font route au sud-ouest.

Bolitho essayait de se représenter la scène. Une chasse… Ils avaient le même vent, ce vent qui gonflait les voiles du Wakeful avec un bruit de tonnerre. Quels pouvaient être ces navires ?

— Laissez porter de deux quarts, monsieur Queely. Faites route au sud-sud-ouest.

Il ignora délibérément la grogne muette de Queely :

— Envoyez toute la toile que le vent permet ! Je veux les rattraper !

Queely ouvrit la bouche, puis la referma sans mot dire. Ensuite, il fit signe à Kempthorne :

— Larguez le hunier !

Sous la pression de cette nouvelle voile, le cotre bondit, faisant éclater les courtes crêtes des vagues. Le bateau était superbe à cette allure. Bolitho eut une pensée fugitive pour son frère défunt : il était bien normal qu’il se fût attaché à son cotre, l’Avenger ; si tant est qu’il se fût jamais attaché à rien… L’image s’estompa.

Bolitho regarda dans les hauts. Les rayons du soleil touchaient les voiles une à une ; la toile gorgée d’eau fumait à cette douce chaleur.

Les tirs continuaient. Quand il braqua de nouveau sa lorgnette, Bolitho vit que les voiles des trois bateaux accusaient une gîte plus prononcée : le navire poursuivi n’avait pas d’issue, il se rabattait vers la terre, quand sa destination initiale était le grand large. Un mouton effrayé serré de près par les chiens. Aucune chance.

— On les rattrape main sur main, Ted ! s’exclama une voix.

— Ils ne nous ont pas encore vus, renchérit une autre.

Les délinéaments de la côte se précisaient. On apercevait çà et là l’éclat d’une fenêtre ; un promontoire passait rapidement du violet au vert clair.

— Holà ! du pont !

Chacun avait oublié la vigie :

— Ce sont deux chasse-marée français ! Je ne suis pas sûr pour l’autre, mais il est en mauvaise situation. Des voiles perforées, le mât de flèche abattu !

Bolitho se mit à faire les cent pas. Deux chasse-marée. Peut-être à la poursuite d’un contrebandier :

— Si les Français le rattrapent, nous ne trouverons rien.

Il vit que les autres le regardaient :

— Faites force de voiles, monsieur Queely. Je veux m’interposer entre eux.

Queely adressa un signe de tête au maître principal et murmura, furieux :

— On va se retrouver dans leurs eaux territoriales avant une demi-heure ! Ça risque de ne pas leur plaire.

Et il abattit sa dernière carte :

— Pas plus qu’à l’amiral, j’imagine…

Bolitho regarda les gabiers se précipiter dans les enfléchures ; leurs pieds calleux dansaient comme des pagaies sur les échelons tremblants :

— Fort heureusement, monsieur Queely, l’amiral est à Chatham. Il lança un regard circulaire sur la mer. De nouvelles détonations retentissaient sur les vagues :

— Tandis que nous, nous sommes ici.

— Je suis en droit d’élever une protestation, Monsieur.

— Et vous avez le devoir de combattre si nécessaire, sans arrière-pensée.

Et il tourna les talons, furieux que Queely l’eût contraint à faire usage de son autorité quand il n’attendait de lui qu’une collaboration amicale.

— L’un d’eux nous a aperçus, Monsieur !

Un des chasse-marée, qui avait lofé, bordait toutes ses écoutes pour remonter au vent en direction du Wakeful. Queely observa sa manœuvre d’un œil glacial :

— Branle-bas de combat !

Kempthorne quitta le pied du grand mât et accourut à l’arrière pour prendre ses ordres :

— Monsieur ?

— Préparez-vous à réduire la toile.

Bolitho le toisa de l’autre côté du pont ; il sentait ses réticences, sa résistance :

— Envoyez-moi votre canonnier à l’arrière, je désire lui parler. Quelqu’un toucha son uniforme par derrière. Se retournant, il vit le garçon qui le regardait, lui tendant à deux mains sa vieille épée. Bolitho le saisit par l’épaule :

— Bravo, Matthew !

L’enfant cligna des yeux et observa les hommes qui se préparaient activement à la bataille, larguant les bragues des pièces d’artillerie sans gêner les gabiers qui halaient sur les drisses et les bras. Il ne s’étonnait plus de grand-chose à bord et n’était plus excité comme au début. Ses lèvres tremblaient. Bolitho devinait que c’était de peur, et pourquoi. Mais il avait la voix suffisamment assurée. Bolitho était le seul à savoir ce qu’il lui en coûtait. L’enfant l’aida à mettre son ceinturon et expliqua :

— C’est lui qui aurait dû le faire, Monsieur. C’est ce qu’il aurait attendu de moi.

De nouveau, l’ombre d’Allday.

 

Luke Teach, le canonnier du Wakeful, attendait patiemment que Bolitho en eût fini avec ses explications. C’était un homme trapu, d’aspect féroce, originaire du port de Bristol. Il se vantait, disait-on, de descendre en ligne directe d’Edward Teach, alias Barbe Noire. Ce dernier, également natif de Bristol, avait commencé une brillante carrière de corsaire avant de se lancer dans la piraterie.

Bolitho n’avait aucun mal à croire à cette hérédité : avec des joues aussi noires, et pour peu que le règlement de la Marine ne s’y fût point opposé, le canonnier aurait pu se laisser pousser une barbe propre à faire oublier celle de son redoutable ancêtre.

— J’ai l’intention, annonça Bolitho, de venir entre les chasse-marée et le navire qu’ils poursuivent. Il se peut que les Français nous laissent faire, mais dans le cas contraire…

Teach le salua en touchant de la main son chapeau goudronné :

— Je m’occuperai d’eux, Monsieur.

Et il tourna les talons, appelant des hommes à tue-tête. Mieux que quiconque, il connaissait leurs aptitudes respectives.

— Ce bateau est en mauvaise posture, Monsieur, dit Queely.

Il ne quittait pas des yeux les servants qui s’activaient en préparatifs autour des caronades.

— Je crains que nous n’arrivions trop tard.

Bolitho braqua derechef sa lorgnette sur les trois navires. Les chasse-marée ne devaient pas être rassurés de voir approcher ce cotre anglais. Ils avaient beau faire partie de la marine de guerre française et maîtriser la manœuvre à la perfection, ils n’avaient guère l’expérience des engagements rapprochés. Leurs équipages devaient être recrutés localement, comme celui du Wakeful. Bolitho observa le chasse-marée le plus proche, qui louvoyait en gîtant bas, tout dessus. Sur ses voiles tannées se détachait le nouveau pavillon français qui claquait à la corne de grand-voile : identique au pavillon traditionnel tout blanc, mais avec dans un angle un petit pavillon tricolore, moins connu.

Bolitho jeta un coup d’œil en l’air : Queely avait déjà montré ses couleurs. Le français, se dit-il, ne devait pas avoir eu besoin de voir le pavillon anglais pour identifier le cotre et sa mission.

Le bateau poursuivi avait perdu plusieurs espars et n’avait pratiquement plus d’erre. Il tirait en remorque des pièces de gréement et un canot renversé qui tendaient à le faire lofer. Un simple bateau de pêche, apparemment. Peu importait qu’il fût français ou anglais. Un contrebandier, à première vue. Bien peu d’agents du fisc osaient s’introduire dans le cercle très fermé des pêcheurs.

— Juste ciel ! s’exclama Kempthorne. Il est sévèrement touché.

Il était monté sur la grande écoutille pour mieux voir. Les coups au but se succédaient, certains touchant la coque, d’autres fracassant le gréement et déchirant les voiles.

— Mettez en batterie, monsieur Queely ! lança Bolitho, la main posée sur la garde de son épée.

Il regarda les servants des pièces rouler les affûts de manière à faire sortir les gueules des canons par les sabords ouverts. Ainsi le chasse-marée français comprendrait leurs intentions : le Wakeful montrait les dents, c’était, on ne peut plus clair. Le chasse-marée vira de bord et laissa porter pour se rapprocher de sa conserve.

Teach, le canonnier, passait de pièce en pièce, à moitié accroupi comme un crabe. A chaque sabord, il se penchait pour mieux voir, donnant ses instructions au chef de pièce, déplaçant un anspect, bordant un palan de brague. Le Wakeful n’était pas un vaisseau de cinquième rang, mais il était prêt au combat.

— Les Grenouilles rompent le contact ! s’exclama Queely.

Bolitho croyait savoir pourquoi mais il ne dit mot. Soudain, une explosion violente, inattendue, secoua le bateau de pêche. Une longue flamme jaillit sur le pont ; en quelques secondes, toutes ses voiles furent en cendres, tandis que brûlaient le gréement et les superstructures. Une embarcation s’éloignait de lui à force d’avirons : elle devait être précédemment remorquée à couple, du bord opposé à celui du Wakeful. Un chasse-marée fit feu de nouveau ; le boulet passa juste au-dessus du petit canot pour aller s’abîmer en soulevant une haute gerbe.

Queely avait les yeux brillants de colère :

— Devons-nous ouvrir le feu, Monsieur ?

Bolitho montra le bateau de pêche :

— Approchez-vous autant que possible. Je ne pense pas que…

La fin de sa phrase fut couverte par une nouvelle explosion : un boulet prit de plein fouet le canot en fuite. Quand les débris eurent fini de retomber, il n’y eut plus rien à voir.

— Les salauds ! lâcha Queely en se frappant la paume de la main.

— Réduisez la toile, je vous prie.

Bolitho orienta sa longue-vue vers le bateau de pêche qui coulait. Il aurait dû être déjà par le fond mais, par quelque mystérieuse exception au principe d’Archimède, il flottait encore, en dépit de l’incendie et des voies d’eau.

— S’il se produit une nouvelle explosion, souffla Kempthorne, nous courons les pires dangers.

— Je pense que nous savons tous cela, rétorqua Queely.

Et avec un regard mauvais à Bolitho :

— Moi, tout au moins.

Une détonation assourdie résonna dans le lointain, et une éternité plus tard, sur la surface de la mer, une imposante gerbe jaillit avant de retomber lentement, en pluie, autour de la coque qui sombrait. Un boulet, tiré à la limite de portée par une batterie côtière. De là, on devait suivre le drame avec de puissantes longues-vues. Probablement une pièce de trente-deux, canon d’une extrême précision, le plus gros calibre qui pût armer un navire de guerre. La portée de cette pièce servait des deux côtés de la Manche à déterminer la limite des eaux territoriales.

A la distance où se trouvait le Wakeful, un coup au but ne pouvait être que l’effet de la chance, mais un seul de ces énormes boulets de fer, même tout à fait en fin de course, aurait suffi pour démâter le navire ou éventrer ses œuvres vives comme un énorme bélier.

Voilà pourquoi les chasse-marée avaient rompu le contact : ce n’était pas seulement pour éviter le feu des caronades du cotre.

— Nous n’avons pas le temps de mettre le canot à l’eau, dit Bolitho. Préparez des grappins.

Il regarda les hommes qui n’étaient pas au service des pièces d’artillerie :

— Des volontaires pour se rendre sur l’épave.

Personne ne bougea. Puis un marin à moitié nu s’avança d’un pas :

— J’en suis, Monsieur !

Un autre se détacha du groupe :

— Moi aussi, Monsieur !

Une douzaine de mains se levèrent, dont celles de quelques servants.

Bolitho se racla la gorge : Allday aurait peut-être obtenu des volontaires en plus grand nombre, mais il n’était pas fâché de son modeste succès auprès de marins qu’il ne connaissait pas.

— A filer le pic !

Queely, les mains sur les hanches, se triturait furieusement la taille pour maîtriser son agitation :

— Sous hunier et foc à contre, monsieur Kempthorne, nous aurons suffisamment de toile !

Bolitho fendit le groupe des volontaires qui se préparaient. Ils lovaient les plets de leurs lignes et les amarraient aux grappins.

Le premier volontaire le regarda :

— Que devons-nous chercher, Monsieur ?

Le visage marqué d’un lutteur de foire. Ce gars-là rappelait à Bolitho le fidèle Stockdale, son premier patron d’embarcation, mort en couvrant ses arrières à la bataille des Saintes.

— Je n’en sais fichtre rien, aussi vrai que Dieu me voit.

Il se haussa sur le pavois et regarda l’épave, dangereusement proche. La mer alentour était couverte de poissons morts, de tonneaux éventrés, de débris carbonisés, d’épaves.

De nouveau une détonation étouffée. Un autre boulet fit un énorme plongeon à quelques mètres du naufrage. Une cible idéale pour le réglage du tir de l’invisible batterie côtière, ce bateau de pêche ! Un arbre au milieu d’un champ de bataille !

L’impact du lourd boulet fit frémir l’épave. Bolitho entendit l’eau se ruer par les coutures des bordés ouvertes par le choc.

— A vos grappins !

Quatre grappins crochèrent à différents niveaux de l’épave ; en quelques secondes, les volontaires changèrent de bord, encouragés par leurs camarades. Tout le monde avait oublié les chasse-marée, sauf Teach et ses artilleurs triés sur le volet.

La batterie côtière fit feu derechef ; une nouvelle gerbe arrosa le bateau de pêche qui enfonçait. Les matelots se regardaient, alarmés.

— D’un instant à l’autre, Monsieur, ils vont mettre un coup au but, fit Queely d’une voix rauque.

Le câblot d’un des grappins cassa avec un claquement de pistolet. L’épave enfonçait encore. Situation dangereuse, qu’il n’y avait pas lieu de prolonger.

— Larguez tout ! Rappelez les hommes !

L’homme au visage marqué poussa un cri. Bolitho se tourna :

— Ici, Monsieur !

Il s’engagea en titubant dans la descente : l’eau qui envahissait la carène miroitait à l’intérieur comme du verre noir ; si le bateau sombrait, rien ne pourrait empêcher le matelot d’être entraîné avec lui dans les profondeurs.

— Rappelez-le !

Bolitho retint sa respiration. L’homme ne tarda pas à réapparaître, transportant un corps inanimé sur son épaule nue-sans effort, apparemment.

— Nom de Dieu, souffla Queely, c’est une femme.

Des mains se tendirent pour les hisser vigoureusement à bord ; l’épave enfonçait toujours. Un nouveau câblot cassa.

— Faites servir, monsieur Queely. Mettons ce bateau à l’abri du danger.

Un autre boulet arriva en vrombissant et toucha l’épave sous la surface de l’eau.

— A étarquer la drisse de pic ! Du monde dans les hauts !

Le Wakeful reprit de l’erre, écartant épaves et poissons morts sous son long beaupré.

Quand Bolitho regarda de nouveau en arrière, le bateau de pêche avait disparu. Il s’avança lentement entre les matelots silencieux, puis reçut un choc en découvrant la femme qui gisait sur le pont. Ce n’était qu’une jeune fille, vêtue de lourds habits rustiques, un châle grossier noué sous ses longs cheveux. Elle avait un pied nu, l’autre encore enfoncé dans un sabot de bois.

Personne ne disait mot. Queely s’approcha. Ayant d’un regard interrogé Bolitho, il s’agenouilla près d’elle.

— Elle est morte, Monsieur, dit l’homme qui l’avait ramenée à bord.

Il semblait en état de choc. Il devait se dire qu’il s’était exposé en vain. Bolitho examina l’expression de la jeune fille. L’eau de mer qui s’échappait de ses yeux fermés faisait songer à des larmes ; elle semblait endormie, en proie à un affreux cauchemar. Sûrement la fille d’un malheureux pêcheur surprise dans un affrontement qui ne la concernait en rien. Bolitho, qui regardait toujours pensivement les traits pâles de son visage, songeait au moment où le corps de Viola avait été confié à la mer.

Queely déboutonna le chemisier de la jeune fille et fourragea autour de son sein gauche.

On n’entendait d’autre bruit à bord que le souffle du vent.

Queely retira sa main et remit avec précaution de l’ordre dans les vêtements humides.

— Elle est bien morte, Monsieur.

Il leva la tête d’un air chargé d’ennui :

— Dois-je la faire passer par-dessus bord ?

Bolitho s’avança d’un pas ; il gardait les mains serrées si fort dans son dos que ses articulations craquaient :

— Non. Pas encore.

Il considéra tous les visages tournés vers lui.

— Faites-la coudre dans un morceau de toile à voile.

Accroupi sur le pont, il toucha les cheveux trempés. Ils lui firent penser à des algues. Puis, notant le pied nu qui dépassait de la robe :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Queely se retourna vers lui. Il était occupé à vérifier le réglage des voiles et le cap suivi par les timoniers, tout en s’assurant qu’il n’y avait plus de chasse en cours, ni de menace venant de la batterie côtière.

— Pardon, Monsieur ?

Bolitho avec effort se saisit de la fine cheville, froide comme de la glace. La peau de la jeune fille portait des ecchymoses, la chair était à vif. On eût dit des marques laissées par des fers.

— C’est à cause des sabots de bois, Monsieur, expliqua Queely. Ça marque le talon. Regardez l’autre pied.

— Oui, je vois.

Bolitho avait envie de cacher sous un drap les souffrances de cette malheureuse. Puis il leva les yeux vers le lieutenant, de l’autre côté du cadavre :

— J’aurais dû le comprendre.

Sans tenir compte de la surprise de Queely, il prit le pied nu entre ses doigts. C’était tout ce qu’il pouvait faire pour se retenir de pleurer au souvenir qui le traversait.

Le pied était souple ; ce n’était pas là la cheville d’une personne vivant en mer. La peau était trop fine pour avoir connu la rude chaussure de bois. On songeait plutôt à des temps heureux, à des rires et des danses. Il pencha la tête, presque jusqu’à frôler celle de la fille :

— Approchez.

Queely s’agenouilla.

— Sentez.

Après un instant d’hésitation, Queely s’exécuta :

— Oui, Monsieur, vous avez raison, il y a quelque chose.

Il écarta les cheveux mouillés du visage de la fille ; on se serait attendu à la voir s’éveiller à ce geste, ouvrir les yeux…

— C’est bien du parfum, Monsieur.

Bolitho examina les petites mains qui commençaient à se raidir malgré la chaleur des premiers rayons de soleil ; des mains sales mais douces, aux ongles soignés.

— Sûrement pas une fille de pêcheur, Monsieur.

Bolitho se releva et se retenant à un pataras, jeta un coup d’œil par le travers : les chasse-marée commençaient à disparaître derrière la brume légère, tandis que la côte n’était plus qu’une tache indéfinissable.

Il vit Queely entreprendre un examen du corps, mais il préféra garder les yeux fixés au loin. Quand Queely se releva, il montrait un mouchoir brodé dans un angle duquel était brodée l’initiale H. Le mouchoir dégoulinait d’eau de mer mais était parfaitement propre : peut-être le dernier lien de la fille avec une vie qui l’avait rejetée.

— C’est tout, Monsieur, conclut lourdement Queely.

— Un jour, qui sait… commença Bolitho.

Mais il ne put achever sa phrase.

Un peu plus tard, le petit corps cousu dans une toile fut hissé sur un caillebotis que l’on avait posé sur le pavois sous le vent.

Le lieutenant Kempthorne avait demandé s’il fallait lui rendre les honneurs du pavillon, à quoi Bolitho avait répliqué d’un ton définitif :

— C’est son pavillon qui l’a détruite, le nôtre ne peut rien faire de plus pour elle.

Tête nue, les matelots assistèrent debout à l’immersion.

Bolitho se raidit, puis se détourna quand Queely, écrasant son bicorne sous son bras, prononça quelques mots en français. Et il répéta aux hommes qui se trouvaient près de lui :

— Nous ne pouvons nous agenouiller devant sa tombe, mais nous la confions à la mer, d’où elle est venue.

Il y eut un rapide bruit de glissade, un plongeon le long du bord. Par groupes de deux ou trois, les hommes rompirent les rangs pour retourner à leurs postes.

— Eh bien, Monsieur ? demanda Queely en remettant son bicorne.

— Étrange. C’est une jeune Française, une inconnue qui devient notre première alliée dans cette sombre affaire.

Il déploya le mouchoir dans la brise qui se réchauffait :

— Nous nous souviendrons d’elle.

Et en lançant un regard en arrière, sur le sillage écumant du Wakeful :

— Elle repose, à présent, et en bonne compagnie.

 

Toutes voiles dehors
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